Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/250

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la moindre surveillance. Mes deux cousins avaient été emmenés à l’armée, on avait pris des vieux pour cultiver les terres et ils ne cultivaient rien du tout ; le jardin était à l’abandon, la prairie était livrée à tous les troupeaux qui voulaient y entrer. Pour ne pas se donner la peine de les garder, les enfants avaient ôté les barrières et crevé les haies. De sa chambre, le prieur voyait les chèvres ravager ce jardin qu’Émilien avait mis en si bon état et rendu si joli. Le pauvre homme se dépitait et s’agitait en vain sur son vieux fauteuil. Il grondait la Mariotte, qui, malgré son activité, ne pouvait suffire à tout à elle seule. Le moutier ainsi dévasté était navrant, et, puisque je n’y pouvais rien, je regrettai presque d’y être venue. Il fallait se résigner à voir détériorer le bien que M. Costejoux nous avait confié, mais il était trop juste pour ne pas reconnaître qu’il y avait force majeure et que notre dispersion n’était pas l’effet de notre caprice.

J’essayai de démontrer la chose au prieur pour le calmer, mais je n’y réussis point.

— Tu me prends pour un avare, disait-il. Je ne l’ai jamais été, et je sais plaindre la misère ; mais ces pillards de paysans abîment pour le plaisir de détruire et cela me fait mal à voir. Je mourrai dans un accès de colère, je le sens bien, et l’état de colère n’est pas l’état de grâce. Ah ! Nanette, je suis bien seul pour être si malade ! Depuis que vous m’avez quitté, je n’ai pas eu un jour de contentement. Si, au moins, tu rentrais au bercail, toi qui le peux sans danger ! Ne saurais-tu maintenant laisser Émilien avec Dumont dans cet endroit où tu dis qu’ils sont bien et qu’ils pourront bientôt quitter ? Leur es-tu si nécessaire, à présent