Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

part, ce qu’il ne pouvait pas te dire lui-même ; — ne demande pas pourquoi, tu le comprendras plus tard ; Émilien est jeune et pur, mais il est homme et il ne lui a pas été facile de vivre si près de toi, confiante et dévouée, en te laissant croire qu’il était aussi calme que toi. — Enfin, il m’a dit : « Je ne pourrais pas continuer cette vie-là. Ma tête éclaterait, mon cœur déborderait. Je n’aurais plus le courage de m’en aller et je ne serais pas digne du bonheur que je veux me donner comme une récompense et non comme un entraînement. » Oui, Nanette, voilà ses paroles. Tu les comprendras mieux en y réfléchissant ; je te les dis pour que tu ne te croies pas dédaignée, pour que tu saches, au contraire, combien tu es aimée, et pour que tu aies le courage et l’espérance qu’il a voulu emporter purs de tout reproche envers lui-même.

Je dirai plus tard comment mon cœur et mon esprit reçurent cette révélation, j’ai fini de raconter le poème de ma première jeunesse. Je quittai l’île aux Fades avec beaucoup de larmes ; elles ne furent point amères comme celles de la veille et je rentrai au moutier pour y mener une vie de réalités souvent bien dures ; mais j’eus dès lors un but bien déterminé qu’il m’a été accordé d’atteindre. Ce sera la troisième partie de mon récit.