Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/293

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Amsterdam, sans souliers, sans vêtements et couvrant notre nudité avec des tresses en paille, mais en bon ordre et musique en tête. On ne nous attendait pas si tôt, rien n’était prêt pour nous recevoir. Nous avons attendu six heures dans la neige, qu’on pût nous donner du pain et nous caserner. Pas un murmure n’est sorti de la poitrine de nos héroïques soldats, et les vaincus les contemplaient avec admiration. Ah ! mon amie, qu’on est fier de conduire de tels hommes et d’appartenir à cette armée où l’âme de la France, égarée et meurtrie, s’est réfugiée, pure et sublime, libre de toute pensée personnelle, enivrée de l’amour de la République et de la patrie ! Que je suis heureux de t’aimer et de me sentir digne de toi après des souffrances inouïes acceptées joyeusement ! Ne plains pas ton ami, sois heureuse aussi, et compte que, aussitôt la paix faite, il ira chercher dans tes bras sa récompense. Dis à mon père Dumont que je le chéris, et à Mariotte que je l’embrasse. Dis à notre cher prieur que j’ai pensé à ses paroles à tous les moments de mon épreuve. En souffrant le froid, la fatigue, la faim, je me disais : « On a fait le mal, et le mal a fait tous les maux. Il faut pourtant forcer le bien à renaître. Pour cela, il faut souffrir, et le soldat est la victime expiatoire qui réconciliera le_ _ciel avec la France. »

Il y avait en post-scriptum :

« J’allais oublier de vous dire que j’ai été nommé capitaine à l’affaire de Dueren, sur le champ de bataille. »

Rassemblés tous les quatre, le prieur, Dumont, Mariotte et moi autour de cette chère lettre, nous pleurions de plaisir et de douleur. Il ne disait pas quand