Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/40

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quelquefois avec nous ne nous semblassent point de gros événements. Petit Pierre l’aimait à plein cœur et le défendait contre Jacques, qui le considérait fort peu. En cela, il se trouvait assez d’accord avec mon grand-oncle, qui reprochait à Émilien de ne pas savoir tenir son rang, d’oublier qu’il était un Franqueville, enfin de n’être pas aussi recueilli qu’un futur religieux devait l’être.

— C’est une tête légère, disait-il, et ça ne fera jamais ni un bon noble ni un bon moine. Ça n’est pas méchant, ça n’est même que trop bon ; ça paraît honnête, ça ne songe pas encore aux filles, mais ça ne se tourmente ni de ce monde ni de l’autre, et pourtant quand on n’est pas bon pour l’épée, il faudrait être bon pour l’autel.

— Qu’est-ce qui vous dit qu’il n’aurait pas été bon pour l’épée ? s’écriait Pierre tout ému. Il n’a peur de rien, et ça n’est pas sa faute si on n’en a pas fait un bon soldat au lieu d’en faire un _cheti’moine._

J’écoutais tous ces jugements sans bien savoir lequel croire. J’avais d’abord rêvé une grande amitié avec le petit frère ; mais il ne faisait pas à moi l’attention que je faisais à lui. Toujours bon, prêt à obliger, à passer son temps au hasard avec le premier venu, il ne pensait à moi que quand il me voyait. Je m’étais imaginé lui remplacer sa petite sœur et le consoler de ses peines à confier mais il n’avait plus de peines à confier. Il disait sa position à tout le monde sans faire de réflexions, et racontait les malheurs de son enfance sans paraître les avoir sentis ; cela tenait peut-être à une espèce de sourire continuel qui paraissait augmenter quand il disait des choses tristes et qu’il lui donnait un air de