Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/57

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— Ce sera, dit-il, pour le souper de ton oncle, et tu ne peux pas refuser.

— Mais c’est le gibier des moines ?

— En ce cas, c’est le mien et j’ai le droit d’en disposer.

— Je vous remercie ; mais je voudrais quelque chose pour moi qui ne suis pas gourmande.

— Quoi donc ?

— Je voudrais savoir toutes mes lettres aujourd’hui. Me voilà reposée, vous n’êtes pas bien las…

— Allons, je veux bien, dit-il. Et il me fit lire encore.

Le soleil baissait, j’avais mieux mon esprit. Je connus tout mon alphabet ce jour-là, et j’étais contente, en rentrant, d’entendre chanter les grives et gronder la rivière. Rosette marchait bien sage devant nous et le petit frère me tenait par la main. Le soleil se couchait sur notre droite, les bois de châtaigniers et de hêtres étaient comme en feu. Les prés en étaient rouges, et, quand nous découvrîmes la vue de la rivière, elle paraissait tout en or. C’était la première fois que je faisais attention à ces choses, et je dis au petit frère que tout me paraissait _drôle._

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je veux dire que le soleil est comme un feu gai, et l’eau comme la vierge reluisante du moutier ; ça n’était pas comme ça les autres fois.

— C’est comme cela toutes les fois que le soleil se couche par un beau temps.

— Pourtant le père Jean dit que, quand le ciel est rouge, c’est signe de guerre.

— Il y a bien d’autres signes de guerre, ma pauvre Nanon !