Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/63

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malheureuses, devaient s’habituer à avoir un grand courage et ne_ _point caresser leurs peines.

— Que voulez-vous ! lui disais-je, je n’ai jamais eu de chagrin ; je ne suis pas tendre pour mon corps, le froid ni la faim ne m’ont jamais fâchée. Je ne sens guère la fatigue et je peux dire que je n’ai jamais souffert de ce qui fait gémir les autres ; mais je ne pensais jamais que mon grand-oncle dût mourir ! J’étais accoutumée à le voir vieux. J’avais si soin de lui, qu’il paraissait encore content de vivre. Il ne me parlait guère, mais il me souriait toujours. Il ne m’a jamais reproché d’être tombée à sa charge, et il a tant travaillé pour moi, cependant ! Quand je pense à lui, je ne peux pas me retenir de pleurer, et il faut que ce soit plus fort que moi, puisque je pleure en dormant et me réveille au matin la figure toute mouillée.

Le petit frère était le seul qui ne se montrât pas scandalisé de mon long chagrin. Tout au contraire, en me disant que je n’étais pas comme les autres, il ajoutait que je valais mieux et qu’il m’en estimait davantage.

— Mais ce sera peut-être un malheur pour toi, disait-il ; tu as une grande force d’amitié ; on ne te rendra pas cela comme tu le mérites.

Il venait tous les jours chez nous, ou bien il me rejoignait aux champs où j’allais presque toujours seule ; la gaieté des enfants de mon âge m’attristait, et ma tristesse les ennuyait. Avec Émilien, je faisais effort pour m’en distraire, tant il mettait de complaisance à me vouloir consoler. Je m’attachai à lui sérieusement : il me sembla qu’il me remplaçait l’ami