Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/113

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que chose de bon dans cette malheureuse nature. Je priais pour elle et ne sentais pas l’espoir d’être exaucée. Enfin, j’éprouvais une peine singulière, et je désirais de ne plus entendre jamais parler de lui.

» Il fit alors tout au monde pour me voir, malgré moi. Il se présenta dix fois au couvent, et deux soirs de suite, à minuit, je l’entendis chanter sous la terrasse de notre enclos. Il y revint, dans le jour, comme par hasard. Il prodiguait là, en plein air, les plus doux trésors de sa belle voix, au risque de la perdre. Mes religieuses étaient ravies de l’entendre, et voulaient m’emmener au jardin pour l’écouter de plus près. Je m’y refusai. Il m’écrivit des billets fort exaltés ; je ne répondis pas. Je pensais le décourager : je voulais que tout fût fini entre nous.

» Il y a trois jours, une circonstance puérile détruisit le fruit de ma prudence et de ma volonté. Une fauvette avait son nid dans le jasmin de ma fenêtre. Je protégeais la petite couvée, je m’y intéressais. Un coup de vent d’orage dérangea le nid, et un des petits tomba de branche en branche, jusqu’à terre, sans se faire de mal. Je courus pour le ramasser, mais ses petites ailes le portaient déjà. Il se sauva sur un arbre, tomba encore, se releva et franchit le mur qui sépare notre jardin du petit enclos que vous me réclamiez hier, et que je suis prête, maintenant, Narcisse, à vous abandonner.