Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/128

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car elle regarde à peine à ses pieds, et c’est peut-être son esprit qui marche à l’insu de son corps. Si elle tombe… ma foi, elle a peut-être des ailes qui s’ouvriront tout à coup pour la soutenir sur l’abîme.

— La voilà hors de danger, sans accident, reprit Narcisse en redescendant avec moi vers le lit de la Gouvre. Quant au précipice moral qu’elle affronte avec trop d’orgueil, selon moi, que Dieu vous entende !

Le soleil se couchait, et, à mesure que nous avancions vers notre point de départ, ses admirables reflets doraient plus chaudement toutes les masses de verdure et toutes les silhouettes des rochers. Cette suite de tableaux charmants qui se déroulaient devant nous dans le sens opposé à celui où nous les avions déjà vus, prenait des aspects féeriques, et, comme je m’extasiais à chaque pas, Narcisse me dit avec sa candeur habituelle :

— Vous trouvez donc vraiment que c’est beau, ces endroits-là ? J’en suis content, parce que, moi, je les ai toujours aimés. Je n’aurais pas osé dire que des ravins si sauvages et si abandonnés me plaisaient pour autre chose que pour les perdrix et les lièvres qu’on y trouve. Mais, quand j’ai de la fatigue et de l’ennui dans mon chien de métier, et que je vais m’asseoir tout seul, cinq ou six minutes, dans mon petit jardin de ville, je me mets toujours à penser à ce petit ravin tortillé de la Gouvre. Je ferme les yeux et je le vois. Croyez-moi si vous voulez,