Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/272

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— Mes amis, nous dit-elle, le moment est venu. L’étouffement augmente, et cela va si vite, que je dois m’attendre, d’un moment à l’autre, à vous quitter. Je n’ai plus la force de le cacher, il faut que je m’avoue vaincue. Mon cher enfant, dit-elle à Narcisse, tu me regretteras bien, je le sais ; mais je ne m’en vais d’ici que pour revivre ailleurs, et je t’attendrai. Songe que les âmes unies par un mariage d’amour et de foi ne se séparent jamais plus, et que tes douleurs en ce monde, je les ressentirai dans l’autre. Épargne-moi donc l’horreur de te voir découragé ou en révolte contre l’arrêt du ciel qui nous sépare pour un peu de temps.

Elle eut alors un peu d’agitation. Elle voulait encore parler, mais le trouble était dans ses idées.

— Qui sait, dit-elle tout à coup, si je suis digne d’aller au ciel ? J’ai peut-être péché par ignorance ; je me suis peut-être menti à moi-même… Me suis-je bien confessée ? Il vaudrait mieux dire plus que moins, quand on veut laver son âme… Pourtant, c’est presque épouser le mal, que de s’accuser à la légère !… Non, je ne mentais pas… Je refusais de me marier, parce que je me sentais malade très-souvent ! J’étouffais comme aujourd’hui… Et puis, je me suis dit, enfin : « C’est raison de plus. Si je ne peux pas vivre, il faut que je meure en aimant. » Et c’est pour aimer sans crainte, ne fût-ce qu’une heure, un moment, que je me suis mariée. Hélas ! il est bien court,