Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/55

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dire que je n’ai pas eu le bonheur de voir le jour dans l’enceinte de leurs murs.

— J’ai bien vu ça du premier coup d’œil ; vous êtes un homme trop distingué…

— Ne parlons pas de moi, parlons de vous. Pourquoi êtes-vous malheureux ?

— Ah ! ce serait trop long à vous dire ; on a une étoile, ou on n’en a pas !

— Vous me paraissez pourtant n’avoir pas le droit de vous plaindre de la nature.

— Hélas ! je suis beau garçon, je le sais. C’est un avantage dans ma profession. Mais cela rend le public d’autant plus exigeant ; et puis le monde est plein de bossus et de bancroches qui détestent un artiste bien tourné.

— Ceci est un paradoxe. Voyons, dites-moi, est-ce que vous n’avez pas de talent ? Je ne vous ai pas encore entendu. Les gens d’ici prétendent qu’il eût dépendu de vous de briller sur d’autres scènes lyriques…

— Peut-être, monsieur, peut-être ! j’ai du talent, beaucoup de talent. Entendez-moi, et vous verrez que je ne me vante pas ; mais… les envieux, les ignorants qui gouvernent le monde, le public qui ne s’y connaît pas, une fierté qui ne sait pas se plier au caprice d’autrui ; que vous dirai-je ?… toutes les misères de l’artiste !

— Depuis que le monde est monde, toutes ces misères