Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/102

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croyez qu’un grand éclat dans le monde est une grande séduction pour une femme. Oh ! non, pas pour celle qui le connaît et le méprise comme je le fais. Mais pourtant, ne croyez pas, Lionel, que je dédaigne l’offre que vous m’avez faite de sacrifier un mariage brillant et de vous enchaîner à moi pour toujours.

» Vous avez compris ce qu’il y a de cruel pour l’amour-propre d’une femme à être abandonnée, ce qu’il y a de glorieux à ramener à ses pieds un infidèle, et vous avez voulu me dédommager par ce triomphe de tout ce que j’ai souffert ; aussi je vous rends toute mon estime, et je vous pardonnerais le passé si cela n’était pas fait depuis longtemps.

» Mais sachez, Lionel, qu’il n’est pas en votre pouvoir de réparer ce mal. Non, cela n’est au pouvoir d’aucun homme. Le coup que j’ai reçu est mortel : il a tué pour jamais en moi la puissance d’aimer ; il a éteint le flambeau des illusions, et la vie m’apparaît sous son jour terne et misérable.

» Eh bien, je ne me plains pas de ma destinée ; cela devait arriver tôt ou tard. Nous vivons tous pour vieillir et pour voir les déceptions envahir chacune de nos joies. J’ai été désabusée un peu jeune, il est vrai, et le besoin d’aimer a longtemps survécu à la faculté de croire. J’ai longtemps, j’ai souvent lutté contre ma jeunesse comme contre un ennemi acharné ; j’ai toujours réussi à la vaincre.

» Et croyez-vous que cette dernière lutte contre vous, cette résistance aux promesses que vous me faites ne soit pas bien cruelle et bien difficile ? Je peux le dire à présent que la fuite me met à l’abri du danger de succomber : je vous aime encore, je le sens ; l’empreinte du premier objet que l’on a aimé ne s’efface jamais entièrement ; elle semble évanouie ; on s’endort dans l’ou-