Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/138

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Il se fit quelques instants de silence. Pauline fit un douloureux retour sur elle-même ; elle se demanda à quoi, en effet, servaient tous ces merveilleux ouvrages de broderie qui remplissaient ses longues heures de silence et de solitude, et qui n’occupaient ni sa pensée ni son cœur. Elle fut effrayée de tant de belles années perdues, et il lui sembla qu’elle avait fait de ses plus nobles facultés, comme de son temps le plus précieux, un usage stupide, presque impie. Elle se releva encore sur son coude, et dit à Laurence :

— Pourquoi donc me comparais-tu à Phèdre ? Sais-tu que c’est là un type affreux ? Peux-tu poétiser le vice et le crime ?…

Laurence ne répondit pas. Fatiguée de l’insomnie de la nuit précédente, calme d’ailleurs au fond de l’âme, comme on l’est, malgré tous les orages passagers, lorsqu’on a trouvé au fond de soi le vrai but et le vrai moyen de son existence, elle s’était endormie presque en parlant. Ce prompt et paisible sommeil augmenta l’angoisse et l’amertume de Pauline.

— Elle est heureuse, pensa-t-elle… heureuse et contente d’elle-même, sans effort, sans combats, sans incertitude… Et moi !… Ô mon Dieu ! cela est injuste !

Pauline ne dormit pas de toute la nuit. Le lendemain, Laurence s’éveilla aussi paisiblement qu’elle s’était endormie, et se montra au jour fraîche et reposée. Sa femme de chambre arriva avec une jolie robe blanche qui lui servait de peignoir pendant sa toilette. Tandis que la soubrette lissait et tressait les magnifiques cheveux noirs de Laurence, celle-ci repassait le rôle qu’elle devait jouer à Lyon, à trois jours de là. C’était à son tour d’être belle avec ses cheveux épars et l’expression tragique. De temps en temps, elle échappait brusque-