Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/205

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M. Zacomo à ses pieds, la princesse Veneranda le fit donc asseoir sans façon auprès d’elle, et le força, malgré ses humbles excuses, d’accepter un abri sous le drap noir de sa gondole contre la pluie et le vent, qui faisaient rage et qui autorisaient suffisamment un tête-à-tête entre un vieux marchand sexagénaire et une jeune princesse qui n’avait pas plus de cinquante-cinq ans.

— Vous viendrez avec moi jusqu’à mon palais, lui avait-elle dit, et mes gondoliers vous conduiront jusqu’à votre boutique.

Et, chemin faisant, elle l’accablait de questions sur sa santé, sur ses affaires, sur sa femme, sur sa fille ; questions pleines d’intérêt, de bonté, mais surtout de curiosité ; car on sait que les dames de Venise, passant leurs jours dans l’oisiveté, n’auraient absolument rien à dire le soir à leurs amants ou à leurs amis si elles ne s’étaient fait le matin un petit recueil d’anecdotes plus ou moins puériles.

Ser Spada, d’abord très-honoré de ces questions, y répondit moins nettement, et se troubla lorsque la princesse entama le chapitre du prochain mariage de sa fille.

— Mattea, lui disait-elle pour l’encourager à répondre, est la plus belle personne du monde ; vous devez être bien heureux et bien fier d’avoir une si charmante enfant. Toute la ville en parle, et il n’est bruit que de son air noble et de ses manières distinguées. Voyons, Spada, pourquoi ne me parlez-vous pas d’elle comme à l’ordinaire ? Il me semble que vous avez quelque chagrin, et je gagerais que c’est à propos de Mattea ; car, chaque fois que je prononce son nom, vous froncez le sourcil comme un homme qui souffre. Voyons, voyons ; contez-moi cela. Je suis l’amie de votre petite famille ; j’aime Mattea de tout mon cœur, c’est ma filleule ; j’en suis