Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/234

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comme une statue, le plus loin de lui qu’il lui était possible.

Cependant Timothée, résolu à s’amuser le plus longtemps possible de cette comédie, inventée et mise en jeu par son génie facétieux, car Abul n’avait pas plus songé à réclamer ses deux mille sequins pour acheter de la soie blanche qu’il n’avait songé à trouver Mattea jolie ; Timothée, dis-je, semblable à un petit gnome ironique, prolongeait les émotions de M. Zacomo en le jetant dans une perpétuelle alternative de crainte et d’espoir. Celui-ci le pressait de communiquer à Abul la proposition d’acheter la soie smyrniote de moitié avec lui, offrant de payer le tout comptant, et de ne rembourser à Abul les deux mille sequins qu’avec le bénéfice de l’affaire. Mais il n’osait pressentir le rôle que jouait Mattea dans cette négociation ; car rien dans la contenance d’Abul ne trahissait une passion dont elle fût l’objet. Timothée retardait toujours cette proposition formelle d’association, en disant qu’Abul était sombre et intraitable si on le dérangeait quand il était en train de fumer un certain tabac. Voulant voir jusqu’où irait la cupidité misérable du Vénitien, il le fit consentir à descendre sur la rive droite de la Zueca, et à s’asseoir avec sa fille et le musulman sous la tente d’un café. Là, il commença un dialogue fort divertissant pour tout spectateur qui eût compris les deux langues qu’il parla tour à tour ; car, tandis qu’il s’adressait à Zacomo pour établir avec lui les conditions du traité, il se tournait vers son maître et lui disait :

— M. Spada me parle de la bonté que vous avez eue jusqu’ici de ne jamais user de vos billets à ordre, et d’avoir bien voulu attendre sa commodité ; il dit qu’on ne peut avoir affaire à un plus digne négociant que vous.

— Dis-lui, répondait Abul, que je lui souhaite toutes