Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

besoins absolument contraires ; il s’éveilla comme d’un profond sommeil, et se demanda comment il avait vécu vingt-cinq ans sans savoir des choses si positives et si simples.

Bien rarement nous arrivons à la force de l’âge sans avoir abusé de notre première énergie, émoussé nos passions, gaspillé cette sensibilité virginale si précieuse et si fragile. L’éducation développe en nous, dès les jours de l’adolescence, une ardente curiosité et souvent même de faux besoins du cœur.

Dans une littérature dont le but semble être de poétiser le désir et d’aiguiser l’amour, nos imaginations précoces ont puisé, beaucoup trop peut-être, le rêve des grandes affections.

Il en est résulté qu’en demandant à la vie ses joies inconnues, nous n’avons joué sur la scène réelle qu’une parodie amère ; nous n’avons recueilli que honte et douleur là où nous arrivions pleins de séve, guidés en même temps qu’abusés par les traditions des temps poétiques, des amours perdus. Nous avons pitoyablement dépensé nos aveugles richesses ; nous avons donné de notre cœur à pleines mains et à tout le monde. Aussi nous sommes désabusés avant d’atteindre à nos plus belles années. La nature n’a pas encore donné le complément à nos facultés, que l’expérience nous les a éteintes.

Nos anciennes chimères vinssent-elles à se réaliser, notre âme ne pourrait plus les accueillir ; ces fleurs trop frêles se flétriraient en tombant sur un sol amaigri.

Le même jour qui nous fait hommes nous fait vieillards, ou plutôt il n’y a pas d’heure intermédiaire entre l’enfance et la caducité : tel est l’ouvrage de la civilisation.

Mais le jeune Lockrist, élevé loin du monde et des