Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/357

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Melchior se laissa emporter plus d’une fois à ces décevantes pensées. Il se demanda, dans sa philosophie sauvage et naturelle, si l’homme n’était pas le plus déplorablement organisé des animaux, puisqu’il avait la prévoyance, et s’il ne répondrait pas mieux au vœu de la création en jouissant d’un beau jour qu’en le troublant par le remords de la veille ou l’appréhension du lendemain.

C’étaient là de bien hautes et téméraires pensées pour Melchior, mais elles viennent ainsi plus souvent qu’on ne pense aux esprits droits et simples.

Chaque nuit, il eut des heures de délire où il jura d’oublier toutes ces conventions intéressées, dont le sentiment s’appelle une conscience ; il tordit ses mains avec rage, et demanda au ciel, parmi les gémissements de la vague et les plaintes du vent dans les cordages, pourquoi, ainsi qu’aux autres hommes, il ne lui avait pas laissé sa part d’avenir.

Quelle était donc la cause des insomnies désespérées de ce jeune homme ? Pourquoi ne devinait-il pas que le bonheur était sous sa main ? Que ne l’acceptait-il avec transport au lieu de le fuir avec terreur ? C’est qu’un horrible secret dormait dans ses entrailles ; c’est que son amour ne pouvait plus apporter à Jenny que la honte et le déshonneur ; c’est que Melchior était marié.

À peine âgé de vingt ans, il revenait vers sa patrie muni d’une assez forte somme de butin faite sur un pirate d’Alger, lorsqu’il s’arrêta en Sicile, et se fit honneur d’une partie de sa richesse avec la Térésine. Il réservait le reste à sa mère.

La Térésine était une fille adroite, intrigante, et sachant jouer la vertu au désespoir avec assez d’intelligence.