Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/359

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Six mois plus tôt peut-être, il eût consenti à tromper une femme qui se fût offerte à son grossier amour ; car, s’il avait été honnête homme jusque-là, c’était par instinct, peut-être par hasard.

En lui avait bien toujours résidé je ne sais quelle loyauté innée, germe de grandeur longtemps inculte ; mais, aujourd’hui, l’image de Jenny radieuse et pure venait, comme une révélation d’en haut, éclairer le néant de ses pensées.

Avant elle, il avait eu des sensations : elle lui apportait des idées ; elle trouvait des noms à toutes ses facultés, un sens à des noms qui n’étaient pour lui jusque-là que des mots ; elle était le livre où il apprenait la vie, le miroir où il découvrait son âme.

Un soir, Jenny lui parut plus dangereuse que de coutume ; elle avait parlé secrètement à son père ; elle lui avait avoué que Melchior commençait à lui sembler plus digne d’elle. Le nabab s’en était réjoui.

Jenny croyait tenir le bonheur dans sa main ; elle bénissait la destinée qui s’ouvrait si large et si facile devant elle. La seule chose qu’elle eût regardée comme incertaine, l’amour de Melchior lui était assuré. Le manque d’espoir le retenait encore, mais il n’y avait qu’un mot à dire pour le combler de joie.

Jenny s’amusait comme une enfant de l’impatience qu’elle lui supposait ; elle jouait encore avec ses tourments ; elle était si sûre de les faire cesser ! Elle tenait son aveu en suspens comme un trésor dont elle était orgueilleuse, et se plaisait à le faire briller aux yeux de l’infortuné qui ne devait jamais s’en réjouir.

Melchior, tout éperdu, tout palpitant sous le feu de ses regards, désireux de comprendre ce muet langage, épouvanté lorsqu’il croyait l’avoir compris, fut, pendant le souper, en proie à une violente irritation fébrile. Le