Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cèrent à moutonner. Des troupes de marsouins passaient en grondant sous la proue du navire, et des satanites au plumage funèbre s’arrêtaient par intervalles sur le sillage du gouvernail.

Peu à peu les flots se teignirent en noir ; le vent d’ouest augmenta, et cette partie de l’horizon se trouva comme subitement chargée de nuages légers et blanchâtres à leur naissance. On les voyait grandir avec rapidité, prendre du corps et passer à des teintes livides, mornes, cadavéreuses. D’abord ils traversaient les airs sans se dissoudre ; puis, tombant sous le vent, ils disparurent ; mais, à la fin, il s’en forma un plus fixe et plus épais que les autres. Il s’étendit insensiblement jusque sur le navire, sans que sa base eût changé de place.

Peu de temps après, il avait envahi tout le ciel, et la tempête qu’il renfermait éclata avec un bruit semblable au claquement d’un fouet.

Frappé de ses redoutables ailes, le navire touchait les flots du bout de ses grandes vergues. Il fallut descendre les huniers et serrer toutes les voiles.

De gros oiseaux noirs s’abattirent autour de l’équipage avec des cris sinistres. Quelquefois un rayon du soleil se glissait obliquement dans une déchirure du nuage immense ; mais sa lumière pâle et sans chaleur ajoutait encore à l’horreur du tableau.

Melchior avait retrouvé sa joviale insouciance, son énergique vivacité. Quand tout l’équipage était morne et consterné, lui seul touchait à l’accomplissement du seul de ses vœux qui pût être exaucé.

Pour Jenny, elle était profondément abattue. À quinze ans, on ne renonce pas sans regret à un amour qui commence, à un bonheur qui se lève.

La nuit arriva, et les vents ne se calmaient point ; la mer grossissait toujours.