Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/41

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affichât aussi un mépris de bon ton pour sa méthode, elle subissait l’influence de son génie sans s’en apercevoir, et s’inspirait de lui lorsque la passion les mettait en rapport sur la scène.

» Ce soir-là, Lélio me remarqua, soit pour ma parure, soit pour mon émotion ; car je le vis se pencher, dans un instant où il était hors de scène, vers un des hommes qui étaient assis à cette époque sur le théâtre, et lui demander mon nom. Je compris cela à la manière dont leurs regards me désignèrent. J’en eus un battement de cœur qui faillit m’étouffer, et je remarquai que, dans le cours de la pièce, les yeux de Lélio se dirigèrent plusieurs fois de mon côté. Que n’aurais-je pas donné pour savoir ce que lui avait dit de moi le chevalier de Brétillac, celui qu’il avait interrogé, et qui, en me regardant, lui avait parlé à plusieurs reprises ! La figure de Lélio, forcée de rester grave pour ne pas déroger à la dignité de son rôle, n’avait rien exprimé qui pût me faire deviner le genre de renseignements qu’on lui donnait sur mon compte. Je connaissais, du reste, fort peu ce Brétillac ; je n’imaginais pas ce qu’il avait pu dire de moi en bien ou en mal.

» De ce soir seulement, je compris l’espèce d’amour qui m’enchaînait à Lélio : c’était une passion tout intellectuelle, toute romanesque. Ce n’était pas lui que j’aimais, mais le héros des anciens jours qu’il savait représenter ; ces types de franchise, de loyauté et de tendresse à jamais perdus, revivaient en lui, et je me trouvais avec lui et par lui reportée à une époque de vertus désormais oubliées. J’avais l’orgueil de penser qu’en ces jours-là je n’eusse pas été méconnue et diffamée, que mon cœur eût pu se donner, et que je n’eusse pas été réduite à aimer un fantôme de comédie. Lélio n’était pour moi que l’ombre du Cid, que le représentant de