Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

figure allongée et des yeux hagards ; et puis il lui est enjoint de ne laisser entrer personne et d’assommer quiconque essayerait de forcer la consigne, fût-ce miss Margaret elle-même. Hein ! le voici déjà qui bassine ton lit. Fort bien ! il a une excellente figure ; il veut se donner l’air triste, il a l’air imbécile. Sortons par la porte qui donne dans le ravin. Jack mènera nos chevaux au bout du vallon, comme s’il allait les promener, et nous le rejoindrons au pont de Lonnio. Allons, en route, et que le dieu d’amour nous protège !

Ils parcoururent rapidement la distance qui sépare les deux chaînes de montagne, et ne ralentirent leur course que dans la gorge étroite et sombre qui s’étend de Pierrefitte à Luz. C’est sans contredit une des parties les plus austères et les plus caractérisées des Pyrénées, Tout y prend un aspect formidable. Les monts se resserrent, le Gave s’encaisse et gronde sourdement en passant sous les arcades de rochers et de vigne sauvage ; les flancs noirs du rocher se couvrent de plantes grimpantes dont le vert vigoureux passe à des teintes bleues sur les plans éloignés, et à des tons grisâtres vers les sommets. L’eau du torrent en reçoit des reflets tantôt d’un vert limpide, tantôt d’un bleu mat et ardoisé, comme on en voit sur les eaux de la mer.

De grands ponts de marbre d’une seule arche s’élancent d’un flanc à l’autre de la montagne, au-dessus des précipices. Rien n’est si imposant que la structure et la situation de ces ponts jetés dans l’espace, et nageant dans l’air blanc et humide qui semble tomber à regret dans le ravin. La route passe d’un flanc à l’autre de la gorge sept fois dans l’espace de quatre lieues. Lorsque nos deux voyageurs franchirent le septième pont, ils aperçurent au fond de la gorge, qui insensiblement s’élargissait devant eux, la délicieuse vallée de Luz,