Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/71

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spirituelle et jolie ? n’était-elle pas la fille d’un banquier portugais, juif, à la vérité, mais riche ? n’était-ce pas un bon parti ? ne vous aimait-elle pas jusqu’à la folie ?

— Eh ! mon ami, voilà ce dont je me plains : elle m’aimait beaucoup trop pour qu’il me fût possible d’en faire ma femme. De l’avis de tout homme de bon sens, une femme légitime doit être une compagne douce et paisible, Anglaise jusqu’au fond de l’âme, peu susceptible d’amour, incapable de jalousie, aimant le sommeil, et faisant un assez copieux abus de thé noir pour entretenir ses facultés dans une assiette conjugale. Avec cette Portugaise au cœur ardent, à l’humeur active, habituée de bonne heure aux déplacements, aux mœurs libres, aux idées libérales, à toutes les pensées dangereuses qu’une femme ramasse en courant le monde, j’aurais été le plus malheureux des maris, sinon le plus ridicule. Pendant quinze mois, je m’abusai sur le malheur inévitable que cet amour me préparait. J’étais si jeune alors ! j’avais vingt-deux ans ; souvenez-vous de cela, Henry, et ne me condamnez pas. Enfin, j’ouvris les yeux au moment où j’allais commettre l’insigne folie d’épouser une femme amoureuse folle de moi… Je m’arrêtai au bord du précipice, et je pris la fuite pour ne pas succomber à ma faiblesse.

— Hypocrite ! dit Henry. Lavinia m’a raconté bien -autrement cette histoire : il paraît que, longtemps avant la cruelle détermination qui vous fit partir pour l’Italie avec la Rosmonda, vous étiez déjà dégoûté de la pauvre juive, et vous lui faisiez cruellement sentir l’ennui qui vous gagnait auprès d’elle. Oh ! quand Lavinia raconte cela, je vous assure qu’elle n’y met point de fatuité ; elle avoue son malheur et vos cruautés avec une modestie ingénue que je n’ai jamais vu pratiquer aux autres femmes. Elle a une façon à elle de dire : « Enfin, je l’en-