Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/75

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la soirée, se pressaient devant ces fenêtres pour jeter, par-dessus l’épaule les uns des autres, un coup d’œil de curiosité envieuse ou ironique sur le bal, et pour échanger quelque remarque laudative ou maligne, en attendant que l’horloge du village eût sonné l’heure où tout convalescent doit aller se coucher, sous peine de perdre le benefit des eaux minérales.

Au moment où nos deux voyageurs passèrent devant ce groupe, il y eut dans cette petite foule un mouvement oscillatoire vers l’embrasure des fenêtres ; et Henry, en essayant de se mêler aux curieux, recueillit ces paroles :

— C’est la belle juive Lavinia Blake qui va danser. On dit que c’est, de toute l’Europe, la femme qui danse le mieux.

— Ah ! venez, Lionel ! s’écria le jeune baronnet ; venez voir comme ma cousine est bien mise et charmante !

Mais Lionel le tira par le bras ; et, rempli d’humeur et d’impatience, il l’arracha de la fenêtre, sans daigner jeter un regard de ce côté.

— Allons, allons ! lui dit-il, nous ne sommes pas venus ici pour voir danser.

— Cependant il ne put s’éloigner assez vite pour qu’un autre propos, jeté au hasard autour de lui, ne vînt pas frapper son oreille.

— Ah ! disait-on, c’est le beau comte de Morangy qui la fait danser.

— Faites-moi le plaisir de me dire quel autre ce pourrait-être ? répondit une autre voix.

— On dit qu’il en perd la tête, reprit un troisième interlocuteur. Il a déjà crevé pour elle trois chevaux, et je ne sais combien de jockeys.

L’amour-propre est un si étrange conseiller, qu’il nous