Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/89

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fadeurs du beau talon rouge avec une complaisance singulière. Le comte hasarda deux ou trois phrases passionnées, qui parurent à Lionel s’écarter un peu des règles du bon goût et de la convenance dramatique. Lavinia ne se fâcha point ; il n’y eut même presque pas de raillerie dans ses sourires. Elle pressait le comte de retourner au bal le premier, lui disant qu’il n’était pas convenable qu’elle y rentrât avec lui. Mais il s’obstinait à vouloir la conduire jusqu’à la porte, en jurant qu’il n’entrerait qu’un quart d’heure après. Tout en parlant, il s’emparait des mains de lady Blake, qui les lui abandonnait avec une insouciance paresseuse et agaçante.

La patience échappait à sir Lionel.

— Je suis bien sot, se dit-il enfin, d’assister patiemment à cette mystification, quand je puis sortir…

Il marcha jusqu’au bout du balcon. Mais le balcon était fermé, et au-dessous s’étendait une corniche de rochers qui ne ressemblait pas trop à un sentier. Néanmoins Lionel se hasarda courageusement à enjamber la balustrade et à faire quelque pas sur cette corniche ; mais il fut bientôt forcé de s’arrêter : la corniche s’interrompait brusquement à l’endroit de la cataracte, et un chamois eût hésité à faire un pas de plus. La lune, montant sur le ciel, montra en cet instant à Lionel la profondeur de l’abîme, dont quelques pouces de roc le séparaient. 11 fut obligé de fermer les yeux pour résister au vertige qui s’emparait de lui, et de regagner avec peine le balcon. Quand il eut réussi à repasser la balustrade, et qu’il vit enfin ce frêle rempart entre lui et le précipice, il se crut le plus heureux des hommes, dût-il payer l’asile qu’il atteignait au prix du triomphe de son rival. Il fallut donc se résigner à entendre les tirades sentimentales du comte de Morangy.

— Madame, disait-il, c’est trop longtemps feindre