Page:Sand - Pierre qui roule.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Au lieu de prendre ma revanche, je fus plus froid qu’à mon début. La même terreur s’empara de moi, bien que je fusse entré en scène sans émotion apparente. Ma figure, ma personne, soutenaient le regard sans trouble, et j’avais l’air d’avoir de l’aisance. Aussitôt que ma propre voix frappait mon oreille, le vertige tourbillonnait dans ma tête, je me hâtais de réciter mon rôle comme une corvée dont il me tardait d’être débarrassé, et je faisais au spectateur l’effet d’un monsieur suffisant qui dédaigne son auditoire et ne se donne pas la peine de jouer. L’émotion de l’acteur prend toutes les formes imaginables pour trahir sa volonté. Il n’y a pas de fausse apparence qu’elle n’emprunte, pas de mensonge qu’elle n’invente pour se déguiser. Ce qui se produisait en moi était le phénomène le plus douloureux qui pût m’atteindre, car j’étais sincèrement modeste, désireux de bien faire, et j’étais condamné au masque de l’impertinence. Le fait n’était pas absolument nouveau pour Bellamare, qui avait vu de tout dans son professorat ambulant ; néanmoins, je présentais un cas si tranché, qu’il en fut un peu démonté, et je vis dans son regard expressif plus de compassion que d’espérance.