Page:Sand - Pierre qui roule.djvu/187

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naient de boire le parfum de mon idéal, j’avais cent coudées de haut, j’eusse terrassé une légion de diables.

— Ami, dis-je à Moranbois, qui m’avait suivi au vestiaire et m’aidait, contre toute habitude d’obligeance, à m’habiller, tu as été maître d’armes au régiment, comment s’y prend-on, quand on ne sait rien, pour désarmer son homme ?

— On s’y prend comme on peut, répondit-il. As-tu du sang-froid, imbécile ?

— Oui.

— Eh bien, ne doute de rien, va de l’avant, mon crétin, et tu le tueras.

Cette prédiction ne fît sur moi aucune impression sinistre. Avais-je le désir de tuer ? Non certes, je suis très-humain et point vindicatif. Je ne voyais pas clair dans le rêve qui me portait. Je voulais vaincre, je ne me croyais pas assez habile pour choisir le moyen. Je savais mon adversaire redoutable, je ne le redoutais pas, voilà tout ce que je me rappelle de ce drame rapide, où je me jetais en homme passionné. J’eusse regardé en ce moment tout scrupule philosophique comme un argument de la peur.