Page:Sand - Pierre qui roule.djvu/188

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J’avais pris pour témoins Léon et Marco ; je tenais à ce que la partie fût nettement engagée entre militaires et artistes. Vachard ayant le choix des armes, on se battait à l’épée. Je ne sais ce qui se passa. Pendant deux ou trois minutes, je vis un scintillement au bout de mon bras, je sentis une chaleur brûlante à ma poitrine, comme si mon sang, pressé de me quitter, s’élançait au devant de mille pointes d’épée. Je songeais à parer une attaque quand Vachard roula sur l’herbe. Il me sembla que mon arme avait traversé le vide ; je cherchais mon adversaire devant moi, et il râlait à mes pieds.

Je m’étais cru de sang-froid, je m’aperçus que j’étais complètement ivre, et, quand j’entendis le chirurgien du régiment dire : « Il est mort ! » je crus qu’il s’agissait de moi, et je m’étonnai de me sentir debout.

Je compris enfin que je venais de tuer un homme ; mais je ne sentis aucun remords, car il avait eu vis-à-vis de moi quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent, et j’étais blessé au bras. Je ne m’en aperçus que quand on me pansa, et, dans ce moment, je vis la face livide de Vachard, qui sem-