Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/175

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Doublement utiles, ils sont doublement aimés et récompensés. À Paris, où si peu d’élus se font jour parmi la foule, on n’entend que des plaintes et des malédictions planer sur ce chœur des poètes méconnus que chaque année voit naître et mourir sur l’arène littéraire. Combien de noms sont proclamés chaque année, chaque mois, chaque semaine, dans les réclames et dans les annonces de la librairie ! combien aspirent vainement à cet inutile et dangereux honneur ! Autant de noms que l’oubli dévore en un jour, ou que l’obscurité engloutit à jamais.

Dans les provinces, il en est tout autrement : le poète de la localité est l’objet d’un culte ; toutes les classes applaudissent à son triomphe, tous les voyageurs lui portent leur tribut, toutes les mémoires retiennent ses chants. Chaque citoyen est généreusement fier de la gloire du poète son compatriote ; et comme tous ces poètes sont des prolétaires, vu que dans les autres classes on méprise l’ovation locale, aimant mieux échouer à Paris que régner chez soi, il en résulte qu’aux hommes du peuple seuls appartient le noble rôle de régénérer la vie intellectuelle sur tous les points de la France. Ils y sont les gardiens du feu sacré, longtemps assoupi, qu’ils viennent enfin de réveiller. Gloire à ces bardes prolétaires ! honneur aux sympathies locales qui leur prodiguent cette gloire méritée !

Elle est donc très-grande, beaucoup plus grande qu’on ne le pense à Paris, cette mission des poëtes-ouvriers. Qu’ils ne s’en dégoûtent point, et qu’ils ne la croient jamais au-dessous de leur génie ! N’eussent-ils rien de mieux à faire que d’initier leurs compatriotes des classes pauvres à la beauté des formes du