Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/240

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de pomme ou d’orange dans les loges, pas une parole échangée pendant les vers de Corneille ou la prose de Molière. Un silence religieux, une douceur de manières, une délicatesse d’applaudissements dont on chercherait en vain l’exemple ailleurs. Des épisodes touchants ont marqué cette solennité dramatique. Le peuple s’est cotisé pour offrir un bouquet à mademoiselle Rachel. À la fin de la Marseillaise, un jeune ouvrier est monté sur la scène, et, lui présentant des fleurs (les dandies les jetaient à la figure des actrices), il l’a priée, au nom du peuple, de vouloir bien recommencer le dernier couplet. Les dandies crient bis d’un ton impérieux et habituent les femmes à regarder un commandement brutal comme un hommage. Le peuple regarde un comédien comme un homme, et une grande actrice non pas seulement comme une femme, mais comme une muse. Le peuple est délicat et plus gentilhomme que tous les gentilshommes d’hier.

À la sortie, le peuple, en acceptant les fêtes de l’État, a voulu prouver qu’il ne regardait pas ce noble divertissement comme une aumône. Il l’a montré en faisant l’aumône lui-même. Chacun donnait son offrande pour les pauvres, en disant : « N’oublions pas que pendant que nous nous amusions d’autres souffraient ! » Admirable peuple, comme tu sais te venger de ceux qui te méconnaissent !

8 avril 1848.