Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mêlée des personnages : c’est là un tableau qui donne froid, qui serre le cœur, et où l’on sent l’artiste puissant et simple, toujours maître de son sujet.

D’autres scènes sont racontées avec ce réalisme élevé qui n’a que faire de la forme lyrique pour arriver au beau, parce que le vrai est toujours beau. Il y a une certaine querelle entre deux usuriers : le père, qui meurt de rage en se voyant dépouillé ; le fils, qui en devient fou et qui court les rues, jetant son or et jusqu’à ses vêtements aux curieux attroupés sur son passage : cela est rude, violent, affreux, et littérairement magnifique.

La composition du livre, à un certain point de vue, n’existe pas : au nôtre, elle existe suffisamment. M. Edmond About a le brillant défaut de la jeunesse, qui est de mettre tous les personnages et tous les incidents en pleine lumière, sans sacrifier aucun détail à l’harmonie de l’ensemble. Dans le sujet qu’il traite ici, le défaut est presque une qualité, car le livre n’est pas fait en vue de deux ou trois personnages chargés de produire un effet principal. Le personnel est nombreux, et représente deux camps, les honnêtes gens et les fripons. Entre les belligérants se meuvent les faibles et les indécis qui vont de l’un à l’autre, attendris par le bien, entraînés par le mal. Tel d’entre eux qui, au début, semblait devoir concentrer sur lui l’intérêt, recule au troisième plan. Cela est fait sans art et sans que pourtant l’auteur cesse d’être grand artiste, car il sait forcer l’attention à se porter où il lui plaît et à ne pas s’apercevoir des brusques transitions qu’il lui impose. Enfin, il a ce grand secret qui se résume en un mot vulgaire, mais sans réplique : Il sait amuser son lecteur, ce qui n’est point