Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/409

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l’union d’une âme vierge comme celle du jeune Aubray avec l’âme froissée et déflorée de Jeannine, n’est-ce pas là une mésalliance morale ? Ce jeune saint, ce jeune apôtre a-t-il mérité les souffrances attachées à une telle situation ? Madame Aubray qui voulait marier Jeannine à un autre, à un voisin converti par elle, recule devant le danger d’imposer à son fils une expiation qu’aucune faute de lui n’a provoquée, et qu’aucune obligation contractée ne justifie. Jeannine, humble, sincère, presque innocente du mal qu’elle a commis sans le comprendre, se soumet et s’accuse. Le jeune Aubray, mortellement blessé dans sa croyance et dans sa passion, n’épousera pourtant jamais la femme que sa mère bien-aimée n’aura pas bénie. La foi triomphe dans le cœur de la mère : Camille Aubray épousera Jeannine pardonnée. Telle est, en peu de mots, la donnée de ce drame intime et puissant que tout Paris aspire à entendre, et dont l’analyse faite déjà par tout le monde est inutile à faire ici. Le succès éclatant de l’œuvre est-il dû à l’idée de l’œuvre — aux idées de madame Aubray — ou au talent irrésistiblement persuasif et saisissant de M. Dumas fils ?

Au talent d’abord et par-dessus tout, car il n’est pas de sujet, si excellent qu’il soit, qui puisse se passer de l’art de le présenter. Celui-ci était difficile et dangereux entre tous. Il s’agissait de forcer le public à donner raison à une personne qui, aux yeux de la raison, a absolument tort. Il fallait battre en brèche tous les arguments, — et les plus forts arguments — de cette raison pratique et courante qui est la moitié de notre âme.

Oui, — mais ce n’est que la moitié. Le sentiment est l’autre moitié de nous-mêmes, et, en somme, c’est lui