Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/42

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Obermann n’est pas un livre, mais c’en est un vaste et complet, si l’on considère l’unité fatale et intime qui préside à ce déroulement d’une destinée entière. L’analyse en est simple et rapide à faire. D’abord l’effroi de l’âme en présence de la vie sociale qui réclame l’emploi de ses facultés ; tous les rôles trop rudes pour elle : oisiveté, nullité, confusion, aigreur, colère, doute, énervement, fatigue, rassérénement, bienveillance sénile, travail matériel et volontaire, repos, oubli, amitié douce et paisible, telles sont les phases successives de la douleur croissante et décroissante d’Obermann. Vieilli de bonne heure par le contact insupportable de la société, il la fuit, déjà épuisé, déjà accablé du sentiment amer de la vie perdue, déjà obsédé des fantômes de ses illusions trompées, des squelettes atténués de ses passions éteintes. C’est une âme qui n’a pas pris le temps de vivre, parce qu’elle a manqué de force pour s’épanouir et se développer. « J’ai connu l’enthousiasme des vertus difficiles… Je me tenais assuré d’être le plus heureux des hommes si j’en étais le plus vertueux, l’illusion a duré près d’un mois dans sa force. »

Un mois ! ce terme rapide a suffi pour désenchanter, pour flétrir la jeunesse d’un cœur. Vers le commencement de son pèlerinage, au bord d’un des lacs de la Suisse, il consume dix ans de vigueur dans une nuit d’insomnie…

« Me sentant disposé à rêver longtemps, et trouvant dans la chaleur de la nuit la facilité de la passer tout entière au dehors, je pris la route de Saint-Blaise… Je descendis une pente escarpée, et je me plaçai sur le sable où venaient expirer les vagues… La lune parut ; je restai longtemps. Vers le matin, elle répandait sur