Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/439

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sait par cœur, on attend l’entrée des moines, on attend l’apparition de Lucrèce Borgia, on attend le coup de couteau de Gennaro.

Eh bien ! on est pourtant saisi, terrifié, haletant, comme si on ignorait tout ce qui va se passer ; la première note du De Profundis coupant la chanson à boire vous fait passer un frisson dans les veines ; on espère que Lucrèce Borgia sera reconnue et pardonnée par son fils, on espère que Gennaro ne tuera pas sa mère. Mais non, vous ne le voudrez pas, maître inflexible ; il faut que le crime soit expié, il faut que le parricide aveugle châtie et venge tous ces forfaits, aveugles aussi peut-être.

Le drame a été admirablement monté et joué sur ce théâtre, où il se retrouvait chez lui.

Madame Laurent a été vraiment superbe dans Lucrèce. Je ne méconnais pas les grandes qualités de beauté, de force et de race que possédait mademoiselle Georges ; mais j’avouerai que son talent ne m’émouvait que quand j’étais émue par la situation même. Il me semble que Marie Laurent me ferait pleurer à elle seule. Elle a eu comme mademoiselle Georges, au premier acte, son cri terrible de lionne blessée : « Assez ! assez ! » Mais, au dernier acte, quand elle se traîne aux pieds de Gennaro, elle est si humble, si tendre, si suppliante, elle a si peur, non d’être tuée, mais d’être tuée par son fils, que tous les cœurs se fondent comme le sien et avec le sien. On n’osait pas applaudir, on n’osait pas bouger, on retenait son souffle. Et puis toute la salle s’est levée pour la rappeler et pour l’acclamer en même temps que vous.

Vous n’avez eu jamais un Alfonse d’Este aussi vrai et aussi beau que Mélingue. C’est un Bonington, ou