Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

effrayés du développement d’une si belle plante, veulent l’étioler et la réduire à la taille de la société. Mercedès s’enfuit du couvent à neuf ans, avec son costume de novice, sa robe de mousseline, son léger voile et ses bandeaux de cheveux noirs. Elle traverse les rues de la Havane d’un pas rapide, et va se jeter dans le sein de Mamita, poétique figure d’aïeule, dont une demi-page de description charmante nous fait aimer les longues tresses d’argent, la beauté majestueuse, le vêtement toujours blanc et d’une propreté recherchée, la grâce bienveillante et la bonté inaltérable. Bientôt arrachée aux tendres caresses et à l’indulgente protection de Mamita, Mercedès, reléguée à la campagne, chez une tante de son père, est confiée à la garde du chapelain de la maison ; les malins tours de la belle espiègle, toujours occupée de projets d’évasion et de réunion à sa chère Mamita, mettent en désarroi le pauvre Fray Matteo, et, un soir, tandis qu’il la suit à la promenade, en chantant son office d’un ton nazillard, elle franchit le torrent sur une planche, pousse du pied le pont fragile, et prend son vol à travers champs, laissant le gros moine stupéfait, la bouche ouverte, le livre à la main, les lunettes sur le nez, la rivière à ses pieds.

Comme peinture rapide et ravissante des délices et des beautés de ce climat sous lequel il n’y a pas d’enfance, les Souvenirs de madame Merlin ne sont pas sans mérite ; mais celui qui nous a frappé principalement, c’est la simplicité et la bonté qui respirent à travers chaque impression de cette vigoureuse croissance. Il y a comme un parfum de bonheur et de franchise répandu sur ces premières années d’une jeune fille destinée à la geôle sociale comme les