Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/12

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n’ai pas pour cela la prétention de croire très-importants ni très-profondes, j’ai adressé aux hommes de mon temps une suite d’interrogations très-sincères, auxquelles la critique n’a rien trouvé à répondre, sinon que j’étais bien indiscret de vouloir m’enquérir auprès d’elle de la vérité. J’ai demandé, avec beaucoup de réserve et de soumission au début, dans deux romans intitulés Indiana et Valentine, quelle était la moralité du mariage tel qu’on le contracte et tel qu’on le considère aujourd’hui. Il me fut par deux fois répondu que j’étais un questionneur dangereux, partant un romancier immoral.

Cette insistance à éluder la question, à la manière des catholiques, en condamnant l’esprit d’examen, m’étonna un peu de la part de journalistes chez lesquels je cherchais vainement la trace d’une religion ou d’une croyance quelconque. Cela me fit penser que l’ignorance de la critique n’était pas seulement relative aux questions sociales, mais s’étendait encore aux questions humaines ; et je me permis de lui demander, dans un roman intitulé Lélia, comment elle entendait et comment elle expliquait l’amour.

Cette nouvelle demande mit la critique dans une véritable fureur. Jamais roman n’avait déchaîné de tels anathèmes, ni soulevé d’aussi farouches indignations. J’étais un esprit pervers, un caractère odieux, une plume obscène, pour avoir esquissé le fantôme d’une femme qui cherche en vain l’amour dans le cœur des hommes de notre temps, et qui se relire au désert pour y rêver l’amour dont brûla sainte Thérèse. Cependant je ne demeurai pas convaincu que les Pères de l’Église, dont j’avais à cette époque la tête remplie, m’eussent inspiré la pensée d’un livre abominable.