Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/31

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yeux, ces colères de femme outragée, toujours réprimées dans leur élan par le sentiment intérieur d’une dignité méconnue, et toutes ces nuances délicates d’une douleur immense que l’infortunée Clotilde semble impuissante à comprendre, tant elle est effrayée de la sentir. Les femmes aiment particulièrement à s’indigner des torts d’un homme envers une femme. Il semble que tout cri de détresse et d’abandon trouve un écho dans leur âme, que la plainte arrachée à tout cœur blessé rouvre une blessure du leur. Si beaucoup de femmes haïssent Clotilde à la fin du quatrième acte, beaucoup aussi, davantage peut-être, tressaillent d’une joie sympathique au spectacle de sa vengeance.

Mais de jeunes femmes aux cheveux noirs, aux lèvres vermeilles et mobiles, dont les grands yeux brillaient au travers d’une humidité mélancolique, dont la parole était plus brève et l’expression plus pittoresque, répondirent à leurs pâles compagnes en refaisant à leur guise et à leur taille peut-être le personnage de Clotilde. Elles détestèrent sa délation, et cependant elles la concevaient ; elles comprenaient fort bien cette invasion soudaine et terrible du désespoir qui jette le caractère en dehors de toute pitié, de toute tendresse féminine. Mais elles ne se l’expliquaient que comme l’effet du délire, et, si elles trouvaient le délire de Clotilde assez prouvé dans la pensée de l’écrivain, elles le trouvaient incomplet dans celle de l’actrice ; elles aimaient à rendre justice à cet éclair d’emportement où mademoiselle Mars pose si bien ; mais elles insinuaient que cet état de prostration morale où tombe Clotilde un instant après son horrible effort ressemble à une extase de sublime mé-