Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/45

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Le silence des vallées, les soins paisibles de la vie pastorale, les satisfactions d’une amitié durable et partagée, sentiment exquis dont son cœur avait toujours caressé l’espoir, telle est la dernière phase d’Obermann. Il ne réussit point à se créer un bonheur romanesque, il témoigne pour cette chimère de la jeunesse un continuel mépris. C’est la haine superbe des malheureux pour les promesses qui les ont leurrés, pour les biens qui leur ont échappé ; mais il se soumet, il s’affaisse, sa douleur s’endort, l’habitude de la vie domestique engourdit ses agitations rebelles, il s’abandonne à cette salutaire indolence, qui est à la fois un progrès de la raison raffermie et un bienfait du ciel apaisé. La seule exaltation qu’Obermann conserve dans toute sa fraîcheur, c’est la reconnaissance et l’amour pour les dons et les grâces de la nature. Il finit par une grave et adorable oraison sur les fleurs champêtres, et ferme doucement le livre où s’ensevelissent ses rêves, ses illusions et ses douleurs. « Si j’arrive à la vieillesse ; si, un jour, plein de pensées encore, mais renonçant à parler aux hommes, j’ai auprès de moi un ami pour recevoir mes adieux à la terre, qu’on place ma chaise sur l’herbe courte, et que de tranquilles marguerites soient là devant moi, sous le soleil, sous le ciel immense, afin qu’en laissant la vie qui passe je retrouve quelque chose de l’illusion infinie. »

Telle est l’histoire intérieure et sans réserve d’Obermann. Il était peut-être dans la nature d’une pareille donnée de ne pouvoir se poétiser sous la forme d’une action progressive ; car, puisque Obermann nie perpétuellement non-seulement la valeur des actions et des idées, mais la valeur même des désirs, com-