Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/91

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pre nature, il prodigue de belles paroles qu’on écoute, qu’on admire, et qu’on oublie aussitôt ; qu’il s’amuse aux bagatelles de la tribune, au lieu de concentrer toute cette force qu’il semble porter en lui-même, et de faire de sa vie un monument homogène, hardi, logique, comme nous le voudrions, comme il ne le peut, hélas ! Dieu qui fait les grands hommes si incomplets sait seul pourquoi ! nous n’avons ni le droit ni le courage de le prendre à partie, et de lui dire : « Ô poëte que nous aimons tant, pourquoi songez-vous à vos plaisirs, tandis que vous avez charge d’âmes ? Pourquoi laissez-vous aller la vôtre par mille fissures, vase d’élection qui ne scellez pas plus les eaux de notre vie qu’une coupe d’argile ? Hélas ! que de temps perdu dans cette belle vie, à resserrer une popularité que vous croyez étendre, et qui fût venue vous chercher plus vite et plus triomphalement si vous eussiez moins songé à elle ! »

À quoi servirait d’ailleurs cette plainte indiscrète ? Le poëte, du fond de sa solitude de Saint-Point, l’élève vers le ciel, et la chante lui-même, pour nous initier à ses regrets et à ses combats. Mais, redevenu homme du monde, orateur applaudi, protecteur bienveillant et courtisé, célébrité littéraire adulée, idole des femmes brillantes qui convoitent et qui boivent ses hommages, comment pourrait-il écouter les rudes voix qui lui diraient pour tout compliment : Vous êtes dans la vérité, et pour tout encouragement : Persévérez ? Non, les poètes de ce siècle, pas plus que les philosophes et les politiques de la sphère où s’agite M. de Lamartine, ne peuvent avoir une vie si austère et des satisfactions si sérieuses. Ce n’est pas toujours leur faute, nous en sommes convaincus ; c’est celle du mi-