Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/115

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souffre s’il est homme de bien et religieux. Il en rit comme Satan s’il est charlatan et athée. S’il y croit, c’est qu’il ne jouit pas sainement de l’exercice de toutes ses facultés mentales. C’est un homme d’un autre âge qui se trouve fourvoyé dans le monde actuel, c’est un homme qui a oublié de mourir il y a quelques siècles et qui vit parmi nous sous le coup d’une perpétuelle hallucination.

Le peuple a une vie trop réelle, trop libre moralement, trop en harmonie avec le cours des âges pour vivre de cette vapeur que l’encens du sanctuaire fait monter pleine de fantômes et de prestiges à la tête du jeune lévite. Il est trop fin, trop mâle et trop franc, dès qu’il est sorti des rêves merveilleux de l’enfance, pour conserver, sur ses lèvres, la formule d’une prière qui n’est plus pour lui l’expression de la vérité, mais seulement un souvenir poétique. Le peuple ne croit plus et ne croira jamais plus à la divinité de Jésus, par conséquent à tout l’édifice symbolique du culte. Seulement il aime Jésus maintenant parce qu’il le comprend, parce que, ne voulant plus souffrir, entre son âme et l’Évangile, cette monstrueuse interprétation que le prêtre avait inventée au profit des tyrans et des traîtres, il a découvert que Jésus était le premier et l’immortel apôtre de l’égalité. Jésus, enfant du peuple, martyr de la vérité, victime dévouée pour la cause du faible, du pauvre et de l’esclave, Jésus est sa lumière, son ami, son symbole, son espoir. Mais le Jésus des prêtres, ce Dieu qui daigne naître dans une étable pour enseigner aux hommes à