Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/147

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me défier de dire : Vive Cabet ! En vérité, cela m’en donnerait envie, et, si je n’avais pas ma vieille mère à nourrir, il y a longtemps que j’aurais dit deux mots à tous ces gens qui nous regardent de travers, et qui ont l’air de dire : Venez-y donc ! Enfin, ça m’ennuie, je vous le déclare, et, si c’est la bataille qu’on veut, va pour la bataille !

Coquelet s’animait d’autant plus que des gardes nationaux bien équipés passaient à côté de nous de temps en temps, en criant : À bas Barbès ! et en nous toisant de la tête aux pieds. Mon Coquelet n’y tint pas plus longtemps, et il alla auprès d’un officier qui avait un fusil de chasse à deux coups, comme s’il allait tuer des moineaux, ou comme s’il craignait de manquer son homme. Coquelet allait crier : Vive Barbès ! quand nous le prîmes au collet pour l’empêcher de se faire arrêter ou écharper par les furieux de l’ordre. Pourtant Coquelet n’a jamais vu Barbès, et il s’occupe si peu de politique, comme tu sais, qu’il ne sait même pas si Barbès est un ami ou un ennemi : mais il est bien vrai que les bourgeois se conduisent dans toutes ces affaires-là de manière à provoquer la blouse.

L’impatience de Coquelet nous avait gagnés, malgré le service que nous venions de lui rendre en l’empêchant de se compromettre. Nous tombâmes tous d’accord qu’il fallait aller chercher nos armes et obéir au rappel ; mais nous y avons tous été avec l’intention bien arrêtée de tirer sur le premier habit qui tirerait sur une blouse ; car, dans ce moment d’étonnement où