Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/152

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— Je suis fâché que ton mari ne voie pas cela. Il serait content de voir courir ses enfants. Si les affaires ne s’arrangent pas à Paris, il faudra lui écrire de venir. Tant qu’il y aura du pain à la maison, il y en aura pour toute la famille.

Je te parle bien longtemps de mon père, et je sais que ce qui t’intéresse le plus, c’est nos enfants. On a trouvé ta fille bien pâle et bien maigre à côté de toutes ces grosses filles qui sont ici et qui ont des couleurs rouges. Mais, moi, je trouve notre Louise plus jolie que toutes celles qu’on veut me faire admirer. Pourtant un peu de soleil, de bon air et de liberté ne la gâteront pas. La pauvre enfant en a grand besoin ; mais elle n’y est pas habituée, et elle a souvent la migraine. Paul est comme un fou ; il n’a peur de rien, et il veut courir tout seul au bord de la rivière, ce qui me tourmente beaucoup. Mon père se moque de moi, parce qu’il dit que les enfants sont mieux gardés par le bon Dieu que par leurs mères, et que je suis devenue bête comme une dame de la ville. Émile a encore un peu de fièvre, mais c’est la fatigue du voyage, et j’espère que bientôt ce sera tout à fait passé.

Quant à moi, mon ami chéri, je serais bien heureuse si je n’avais pas le cœur si tourmenté à cause de toi. Je me figurais pourtant que je serais comme folle de plaisir en revoyant, pour la première fois depuis six ans, la chère petite maison de paysans où je suis née et le pays dont je n’étais jamais sortie avant de te connaître et de t’épouser. Mais, au lieu de cela, du plus loin que j’ai aperçu le toit moitié tuile et moitié