Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/153

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chaume, avec les pigeons dessus, il m’a pris une si belle envie de pleurer, que, sans la crainte de faire de la peine à mes parents, j’aurais pleuré de bon cœur. C’est que j’ai tant souffert depuis le jour où j’ai quitté ma famille et mon endroit ! Nous étions partis tous les deux si confiants, si courageux, et l’amour nous montrait l’avenir si beau ! Et, au lieu de cela, nous avons passé de si mauvais jours ! Si c’était ta faute ou la mienne, j’accepterais nos peines comme une punition. Mais quand je pense comme tu as été toujours bon ouvrier et bon mari, sage, courageux, te privant de tout pour ne pas retirer la plus petite chose à ta famille ! Et tout cela n’a servi à rien ! Pour deux fois que tu as été malade depuis notre mariage, il nous a été impossible de rien amasser, et la Révolution nous a surpris sans un sou d’économie. Je ne crois pas non plus avoir quelque chose à me reprocher, si ce n’est de t’avoir donné trois enfants… Tu me demanderas comment une pareille idée me passe par la tête. C’est qu’ici, tous les bourgeois que je rencontre qui me reconnaissent, me disent, en regardant nos pauvres petits anges :

— Comment ! déjà trois ? en cinq ans de mariage ? C’est trop, Gabrielle, c’est trop ! C’est cela qui mène à l’hôpital.

Voilà comment ils entendent la famille, ces gens riches ! Ils ont un seul enfant, deux tout au plus, parce qu’ils disent qu’il ne faut pas diviser la propriété dans les familles ; et quand ils parlent de ceux qui n’ont pas de propriété, ils disent que nous n’avons