Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L’égalité est son vœu éternel, comme l’inégalité est l’éternel rêve du riche.

Heureusement nos mœurs sont plus avancées que nos idées. Tel homme, qui combat officiellement l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort, est doux et humain dans la vie privée. Tel autre, qui porterait volontiers le bonnet sanglant de 93, ne saurait guillotiner qu’en effigie ses adversaires politiques. On se fusille dans de certains jours, et, le lendemain, on s’embrasse dans la rue. Aux deux côtés, d’une barricade, il y a de la rage et de la générosité, de la haine et de la pitié, de la grandeur et de l’aveuglement, du courage, et, ce qui est éminemment français, de la lâcheté nulle part.

Il n’y a donc point à désespérer d’une nation où le sentiment du beau et du bien atténue et répare sans cesse les égarements et les désastres de ses convulsions politiques. Il y a erreur, ignorance ou prévention dans tous les partis. Il y a peut être dans tous bravoure, bonté, désir du vrai. Il y a des individus méchants, traîtres et cupides : les masses valent mieux que les individus, et rien ne prouve mieux que nous sommes faits pour la république.

La lumière est donc proche, car les sentiments sont généralement supérieurs aux idées, et l’humanité mérite que Dieu se révèle et la guérisse de ses erreurs. Mais l’erreur est grande, il ne faut pas se le dissimuler.

L’erreur consiste généralement à traiter les questions comme si elles n’avaient qu’une face, tandis qu’elles en ont deux. Tout le monde le sait, pourtant,