Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/218

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Mais, en dépit de ses efforts, l’auteur de Fragoletta, de Grangeneuve, de Clément XIV et Carlo Bertinazzi, l’homme de goût et de courage qui publia, aux jours les plus ombrageux de la Restauration, les vers inédits d’André Chénier, ne put éviter les émotions fatalement placées sur la route du talent énergique et sincère. Recherché avec zèle par des intelligences amies, combattu avec amertume par des rivaux blessés, M. de Latouche a traversé, comme malgré lui, ces agitations, qu’une excessive sensibilité d’esprit et de caractère lui avaient appris en vain à redouter. Ses vers sont l’expression de ces intimes souffrances, de ces mystérieux bonheurs, de ces joies tremblantes, de ces nobles dépits qu’une âme fière et une imagination impressionnable, une véritable organisation de poète, c’est-à-dire la force unie à la faiblesse, devaient lui faire rencontrer à chaque pas. Sous ce rapport principalement, son livre est une étude intéressante, quoique douloureuse. Trop de chagrin profond et de plainte chaleureuse y débordent, pour que le poète ne se soit pas injustement trompé quelquefois sur le compte de l’amour et de l’amitié. Il faudrait trop haïr, trop mépriser les êtres qui ont brisé ainsi, de propos délibéré, un cœur aimant et noble, s’ils sont aussi coupables que son désenchantement les en accuse. Mais n’y a-t-il pas plutôt à déplorer ici, quoique avec respect, la mobilité d’une âme de poète qui, rêvant partout l’idéal, se désillusionne en amitié "comme en amour, comme en toutes choses, presque aussitôt qu’elle s’est éprise ? Quoi qu’il en soit, il y a dans les