Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

saisir quelques sons distincts. Mais on n’entend que des chants patriotiques, des cris confus, le cliquetis des fusils, le bruit du tambour. Il y a tant de choses à voir et à entendre, que nul ne voit, nul n’entend.

Et pourtant, ce n’est pas une scène de confusion : le peuple est grave ; il se fractionne par groupes, et, dans cette foule immense qu’on croirait pressée et agitée, chacun circule librement, chacun interroge son voisin ou lui répond avec douceur, chacun écoute sans passion et sans méfiance ce qui se dit autour de lui, sans méfiance et sans passion. Chose étrange, on attend le résultat d’une grande crise politique à laquelle chacun a contribué par son vote, et, pourtant la masse ne semble ni impatiente ni inquiète du fait qui va se produire. On ne discute pas, on cause. Le fait préoccupe peu le peuple, l’idée l’absorbe. Le peuple a un problème devant les yeux, il voudrait le résoudre avant de s’affliger ou de se réjouir du résultat des élections. Il s’intéresse médiocrement aux noms propres. Beaucoup se demandent s’ils ont bien voté, et, pour le savoir, ils le demandent à tout ce qui s’arrête autour d’eux. Pour le demander, ils ne trahissent pas le secret de leur vote, ils cachent avec dignité l’angoisse de leur conscience sur ce point délicat ; mais ils demandent à chacun quelque lumière sur l’idée dominante, sur la question du travail.

Entrez dans le premier groupe venu, il y en a bien quatre ou cinq mille, et, quand vous aurez entendu ce qui se discute dans le premier, passez aux autres, ce sera toujours la même chose. Point d’orateurs