Page:Sand - Tamaris.djvu/105

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— Merci donc ! répondit-elle avec ce sourire amer et presque haineux que j’avais déjà remarqué. Au lieu de s’en aller, elle resta fièrement plantée avec son bâton sur le tertre au-dessus de nous. Elle examinait la marquise avec une attention singulière, et celle-ci la regardait avec une certaine curiosité.

— Savez-vous ce que c’est que cette femme ? me dit-elle à voix basse. C’est une beauté déchue de sa gloire. Elle a dû être ravissante, coquette, adorée de tous les jolis cœurs de la plage ; elle a régné dans son milieu, elle a commandé, usé et abusé de son pouvoir ; elle s’est bien mariée pour sa condition : elle gouverne maintenant son mari, elle bat ses enfants si elle en a, elle fait des pèlerinages, et elle ne croit à rien ; elle s’ennuie, elle regrette la danse, la parure et les triomphes ; elle est malade de mécontentement, et elle en mourra ; elle pleure sa fraîcheur, sa force et peut-être quelque fiancé pauvre qu’elle avait dédaigné et qui s’est consolé trop vite. Voilà mon roman ; vous me direz demain si je me suis trompée.

La Zinovèse semblait chercher à lire dans nos yeux ce que nous disions d’elle, car elle se sentait l’objet de nos commentaires, et elle posait évidemment devant nous. Elle descendit quelques pas et nous demanda ou plutôt nous réclama une orange qui lui fut donnée aussitôt. Alors elle s’assit sans façon près de la marquise, et, pelant l’orange :