Page:Sand - Tamaris.djvu/310

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abîme, mais que, si je ne tombais pas juste sur un récif, je pourrais revenir sur l’eau. C’est ce qui est arrivé ; je me suis senti étourdi, puis ranimé par la fraîcheur de la mer. J’ai nagé longtemps dans d’horribles ténèbres. Le brouillard était si épais, que je me heurtais contre les écueils sans les voir. Il m’a semblé un instant que je touchais aux Freirets, ces deux pains de sucre qui sont à la pointe du cap, assez loin de la côte. Jusque-là, j’avais ma raison ; mais tout d’un coup je me suis aperçu que je ne pensais plus et que je nageais machinalement au hasard. C’est le seul moment où j’aie eu peur. Deux ou trois fois le raisonnement est revenu pour un instant, pour me faire sentir l’épouvante de ma situation et ranimer mes forces. Enfin j’ai perdu toute notion de moi-même, et je ne peux expliquer comment je suis arrivé au rivage. Il faut que le vent qui soufflait de la côte ait tourné tout d’un coup ; mais je ne me rendais plus compte de rien, et sans toi je ne me serais jamais relevé !

En achevant ce pénible récit, la Florade jeta des cris étouffés, se cramponna à son oreiller, croyant lutter encore contre la vague et la roche ; il ne revint à lui-même qu’en sentant les bras de Nama autour de lui. Nama ne le quittait ni nuit ni jour ; elle accourut à ses cris, et, le couvrant de larmes et de caresses, elle le calma mieux peut-être que le médicament administré par moi.