Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/145

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LAFORÊT, le tiraillant.

Hé ! de grâce, parlez, ou le diantre m’emporte si vous n’êtes sifflé.

MOLIÈRE, absorbé.

Laisse-moi, Laforêt, ne m’éveille pas, je rêve encore ; mais, tout en rêvant, mon esprit se dégage de sa pesanteur et je sens enfler mon courage. Je vois bien un roi, mais il ne s’appelle plus Louis XIV ; il s’appelle le peuple ! le peuple souverain ! C’est un mot que je ne connaissais point, un mot grand comme l’éternité ! Ce souverain-là est grand aussi, plus grand que tous les rois, parce qu’il est bon, parce qu’il n’a pas d’intérêt à tromper, parce qu’au lieu de courtisans il a des frères… Ah ! oui, je le reconnais maintenant, car j’en suis aussi, moi, de cette forte race, où le génie et le cœur vont de compagnie. Quoi ! pas un seul marquis, point de précieuse ridicule, point de gras financier, point de Tartufe, point de fâcheux, point de Pourceaugnac ? Je te dis de ne me point éveiller, Laforêt, car je fais, cette fois, un bon rêve qui m’explique celui de tantôt.

LAFORÊT.

Pardienne ! monsieur, où prendriez-vous vos marquis, à présent ? Il y a beau temps que vous en avez fait justice, ainsi que de toutes ces vilaines gens que vous avez étrillées de la bonne manière, à telles enseignes qu’ils ne se montrent plus nulle part.

MOLIÈRE, se tournant vers sa servante.

Et les médecins ? y a-t-il encore des médecins ?

LAFORÊT.

Oui, monsieur, il y en a encore ; mais ils tuent beaucoup moins de gens que de notre temps. Allons, c’est assez babiller, faites au nouveau souverain votre compliment.

MOLIÈRE.

J’ai peur qu’il ne se moque à cause du vieux langage que nous parlons.

LAFORÊT.

Hé ! dites toujours. Tous les hommes sont semblables par