Page:Sand - Theatre complet 1.djvu/326

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moire des grands écrivains dramatiques. C’est bien vu dans un certain sens ; mais pourquoi les traditions du Théâtre-Français seraient-elles perdues, pourquoi les savants artistes de ce théâtre seraient-ils découragés ou délaissés si le privilège de représenter les vieux chefs-d’œuvre cessait d’être leur apanage exclusif ? La question est bien discutable, on l’avouera, et je m’étonne qu’elle n’ait pas été sérieusement entamée sous un gouvernement républicain. Comment ! vous proclamez pour la plupart que le peuple est ignorant, qu’il fréquente les cabarets, qu’il a des mœurs grossières, et vous ne voulez pas l’éclairer ni le moraliser ! vous en évitez, vous en repoussez les moyens ! Vous décrétez que le peuple est indigne d’entendre les œuvres des maîtres, vous le privez de cette nourriture saine et robuste que les maîtres ont préparée pour lui, cependant, et vous la réservez pour une classe lettrée qui la dédaigne à force d’en être rebattue, qui n’y trouve plus rien de neuf et qui, grâce à l’élégance de ses mœurs, prétend, certes, n’avoir plus besoin des naïfs enseignements de nos pères ! Eh bien, si vous voulez favoriser certaines écoles dramatiques et lyriques, faites-le plus largement encore, si largement que les théâtres subventionnés soient des spectacles gratuits dont tout le monde puisse profiter. De cette manière, je comprendrai votre sollicitude pour un certain groupe d’artistes choisis et pour un certain répertoire d’élite. Mais, si vous n’ouvrez ces sanctuaires qu’aux riches, si leur situation et leur cherté en excluent les pauvres, je n’en vois pas l’utilité. Les riches ont tant d’autres moyens de s’instruire, et les pauvres en ont si peu !

Maintenant, dans l’état où sont les choses, n’est-ce pas un devoir pour les gens de lettres, quand ils peuvent le faire, quand des raisons d’affection ou de convenance personnelle ne les en empêchent pas, de porter aux théâtres populaires, le fruit de leur travail le plus soigné, l’expression de leurs sentiments les plus chers ? Appellerez-vous cela du socialisme ? Faites-le si vous voulez, mais vous n’oseriez pas dire que vous n’êtes pas socialiste dans ce cas-là, et à ce point là, de vouloir