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Scène III


GÉRARD, SARAH.


SARAH, à part.

Elle en parle bien à son aise, l’heureuse femme à qui personne ne s’est jamais imaginé de faire la cour !

GÉRARD, qui a ouvert sa malle, et qui en a tiré un album et des crayons. Il est assis à droite.

Eh bien, vous retombez dans le spleen ? (Posant l’album et le crayon, à part.) Au fait, j’aime mieux sa mélancolie que sa gaieté. (Haut.) Pourquoi ne voulez-vous pas me dire la cause… ?

SARAH, vers la fontaine.

De mon spleen ? Il est dissipé : ne vous en tourmentez pas.

GÉRARD.

Si fait, vous êtes mélancolique : c’est votre habitude. Voyons, vous avez vingt-quatre ans ; vous êtes intelligente, instruite, charmante ; vous appartenez à une grande famille, vous avez une grande existence, et, dans tout cela, je ne vois pas de motifs pour maudire votre étoile. Je vous accorde que le passé n’a pas été riant, qu’on vous a sacrifiée, enfant, à l’ambition ; que milord Melvil avait le porto et le cherry fort maussades. Mais vous êtes veuve depuis trois ans, vous vivez où il vous plaît et comme il vous plaît. Élevée en France, Française par la grâce et l’esprit, pourquoi ne l’êtes-vous pas par le cœur et le courage ? pourquoi vous obstiner dans cette réserve, dans cette froideur de relations, qui est l’idéal ou le supplice des femmes anglaises ?

SARAH, rêveuse.

Tenez, Gérard, je n’ai qu’un mot pour vous répondre. Je ne veux aimer qu’une fois, et ce sera pour toute ma vie… Mais le moment n’est pas venu.

GÉRARD.

C’est-à-dire la personne ! Grand merci. Ah ! vous êtes d’une franchise…