Page:Sand - Theatre complet 4.djvu/382

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ma seule volonté. Il faut que je rencontre une âme e généreuse et grande qui me pardonne d’être comme je suis ; qui, m’ayant inspiré une sympathie ardente, éprouve pour moi une de ces puissantes affections qui renouvellent une existence. Ce n’est pas là ce que l’on m’offre. Ma mère a les ambitions de son milieu, de ses idées… je ne veux pas dire de ses préjugés ; pour elle et pour mon frère, j’ai pu disposer de ma fortune, c’était facile ! Mais cela (frappant sa poitrine), ce sentiment qui m’appartient et dont je ne dois compte qu’à Dieu ; cette chose sacrée, l’amour d’un honnête homme, sa confiance, sa foi, le souffle qui le fait vivre… Non, personne ne peut me demander cela, et je sens qu’on ne me l’arrachera qu’avec la vie !

CAROLINE.

Monsieur le marquis, vous m’obligez presque à vous donner un conseil…

URBAIN.

Oui, je vous le demande, je le réclame… ou plutôt je vous fais juge de ma destinée.

CAROLINE.

Eh bien, ce jugement, ce conseil, je ne puis les trouver que dans ma propre expérience. Tenez, j’ai vu mon père mourir de chagrin pour avoir perdu la fortune qu’il me destinait. Il y avait, vous le voyez, quelque analogie avec la situation où se trouverait la marquise de Villemer si elle apprenait que votre ruine est irréparable. Je ne pouvais rien à cette douleur de mon père ; jusqu’au dernier moment, il m’en cachait la cause ; mais, s’il m’eût été donné de la guérir en immolant mon avenir, mes instincts, mes goûts, mes idées, mes affections… je sais bien que je n’aurais pas hésité. N’attendez donc pas que votre mère s’épouvante et s’affaiblisse, prenez garde ! Quelque chose que vous décidiez aujourd’hui ou plus tard, pensez toujours à ceci : c’est que, quand nos parents aimés ne sont plus, tout ce que nous aurions pu faire pour leur rendre la vie heureuse et longue se présente devant nous avec une cruelle évidence ! Les plus petites fautes deviennent